De vent et de brume...

[J'inaugure le RP. Et ouais, je me fais un petit plaisir]

Jyl était dressée à l'extrême bord de la plateforme de surveillance, la main machinalement posée sur la poignée d'une dague passée à sa ceinture. A cette altitude, il y avait toujours du vent, de nuit comme de jour, mais c'était sous un ciel nocturne que la jeune femme préférait profiter du panorama splendide offert par la Vigie. La bise glacée lui fouettait le visage et caressait ses longues mèches bleues en les faisant voler derrière elle, sans qu'elle n'y fasse vraiment attention. Perdue dans ses pensées, elle surveillait.

Car elle était de garde ce soir. En temps normal, elle se serait simplement assise dans l'un des poste de surveillance qui bordait la plateforme, mais ce soir, alors qu'elle sortait d'une erreintante séance d'entraînement, elle avait préféré prendre un peu l'air, ce qui expliquait sa position en quasi-équilibre au dessus du vide.

En contrebas, elle devinait les lueurs provenant des fenêtres creusées dans la roche du Mont des Brumes. Camouflée dans la brume, la Citadelle était, à cette heure de la journée, encore grouillante de vie et d'animation. C'était l'heure du coucher des enfants, et de la migrations des plus grands vers l'auberge et les salles communes, om ils entameraient une veillée en compagnie de quelques-uns de leurs amis. Cela faisait deux ans qu'ils s'étaient installés là, et pourtant, les Survivants ne parlaient que de reconquérir leur terre.

Jyl se décala du bord, sentant le vent qui la poussait en arrière faiblir. Elle ne tenait pas à périr d'une chute de plusieurs centaine de mètre aussi stupide. Demain, elle devait donner un cours de sabre à de jeunes débutants. Elle n'avait pas le temps de mourir.

*Personne ne viendra nous chercher ici* songea t-elle finalement en reportant son regard sur les eaux du Lac des Brumes, au pied du mont. L'étendue d'eau, elle aussi envahie par un brouillard dense, les protéger des regards mieux que n'importe quel bouclier. Cependant, il était nécessaire de veiller, alors elle veillait.

*Dans trois heures, quelqu'un passera prendre le relais et je pourrais enfin rejoindre ce lit douillet qui doit fortement s'ennuyer sans moi*

Amy venait d’entamer l’escalade jusqu’au cinquième étage. Elle avait passé le début de la soirée dans la salle commune en compagnie de quelques Survivants à parler de choses et d’autres et, plus tôt, avait joué avec les enfants avant leur coucher. Cette cérémonie, fréquente, la faisait retomber en enfance et la détendait particulièrement. Mais le moment de la journée qu’elle affectionnait tout particulièrement, à la Citadelle, était la tombée du jour.

Alors qu’elle gravissait les chemins escarpés et passait les passerelles, elle voyait le soleil décliner rapidement, se fondre dans la brume épaisse qui encerclait le Mont, depuis le Lac jusqu’à son plus haut sommet, et enfin disparaître derrière une montagne de la Chaîne de Kedja.
Doucement, le ciel couleur violine se marbrait d’un bleu roi piqueté d’étoiles et la Lune apparut, éclatante dans un univers sombre. Amy soupira d’aise devant ce paysage et se remémora une fois de plus leur arrivée ici, la construction de la Citadelle… Ils étaient tellement perdus, en sortant du tunnel au pied du Mont, jamais elle n’aurait cru qu’un jour cet endroit deviendrait à ce point paradisiaque. Jusqu’à ce qu’ils recouvrent tout Terrea, ils étaient en sécurité et bien installés ici.

Enfin arrivée, Amy déboucha directement sur la Place de la Vigie, sur laquelle soufflait une douce brise. Jyl était là, perchée sur le bord d’une balustrade, rêvant les cheveux au vent. Amy sourit largement en l’apercevant : la vue de la personne dont elle était la plus proche parmi les Survivants la rendait toujours particulièrement joyeuse. Leurs esprits s’accordaient avec tant de facilité que parfois elle l’entendait dire tout haut ce qu’elle pensait pour elle-même. Elle s’approcha d’une démarche féline et lui frôla légèrement l’épaule pour ne pas l’effrayer. Bien qu’elle doutait de sa capacité à sursauter pour si peu après avoir combattu des monstres.

« Bonsoir, Jyl. La relève est là. »

Elle s’installa à ses côtés sur la balustrade et continua de contempler la merveille qui se déroulait devant ses yeux. D’ici elle apercevait jusqu’au-delà du Lac et cette vision lui donnait l’impression d’être un faucon, d’avoir le monde à ses pieds. Mais malgré l’heure qui devenait tardive, elle se sentait pleine d’énergie. Elle n’avait pas eu le temps de s’entraîner aujourd’hui et bouillait d’impatience, elle avait besoin d’action.

*Tiens, peut-être que Jyl m’autoriserait à l’assister pour le cours d’arme des enfants qu'elle doit donner, demain ?*

« J’ai besoin d’action, je n’ai pas eu le temps de m’entraîner aujourd’hui… Tu crois que je pourrais t’aider pour le cours de demain avec les enfants ? »

Jyl n'avait pas entendu Amy arriver. Ce n'avait rien d'étonnant, avec le vent qui sifflait à ses oreilles, mais elle se demanda brievement combien de personne avaient eu le temps de passer derrière elle sans qu'elle ne s'en apercoive, tandis qu'elle se tenait debout sur la rambarde, en position de faiblesse. Pas qu'elle ai cru que quelqu'un soit tenté de la pousser sournoisement par derrière, mais enfin...

Elle venait à peine de s'assoir sur son perchoir quand Amy lui effleura l'épaule afin de lui signaler son arrivée.

« Bonsoir, Jyl. La relève est là. »

Jyl sourit légèrement. Finalement, elle n'aurait pas eu à attendre bien longtemps avant que quelqu'un ne vienne la remplacer à son poste. De plus, la présence d'Amy avant quelque chose de chaleureux qui contrastait avec la fraîcheur ambiante. Au fil de ces deux années, les deux jeunes filles étaient devenues très proches, leur deux caractères s'accordant parfaitement.

"Salut Amy" fit-elle sans détourner les yeux du paysage nocturne.

Elle n'avait plus vraiment envie de regagner son lit. Malgré la fatigue qui commençait à se faire pesante, elle se sentait la brusque envie de goûter encore un moment l'extérieur, avant de retourner dans les galeries taillées dans la roche. De plus, elle ne refusait jamais de passer un moment en la compagnie d'un ami, et celle d'Amy était plus que préférable à la solitude de sa chambre.

"Bonne journée?" commença t-elle avant qu'Amy ne lui parle de son cour du lendemain.

Elle voulait y assister, et cela ne posait pas de problème. Si Amy était experte en corps à corps, elle pouvait toujours enseigner deux ou trois trucs aux jeunes Survivants qui, désireux de suivre les traces de leurs aînés, venaient se former régulièrement au combat.

"Bien sûr que tu peux" sourit-elle donc en renvoyant un regard complice à son amie. "Je me sentirais moins seule contre cette armée de gamins. Quoiqu'ils en disent, ils ont tous déjà ce réflexe de survie et de défense qui font d'eux de redoutables adversaires. Leur technique est à parfaire, mais ils n'ont absolument pas besoin d'apprendre la rage de vaincre."

Pas étonnant, avec tout ce qu'ils avaient vécu depuis quatre ans.

Amy ria à la réplique de Jyl. Il était bien vrai que pour être hargneux, ils l’étaient. Parfois plus que des soldats surentraînés. Peut-être était-ce parce que les enfants avaient souvent vu leurs parents mourir au combat face à l’ennemi ? Périr leurs frères et sœurs, devoir subir l’angoisse constante de la guerre et son lot de tensions en tout genre…

*Non, cet environnement constamment alerte n’est décidément pas l’idéal pour élever correctement des enfants… Ils devraient apprendre à s’amuser, pas à se battre…*

Elle chassa ses pensées révoltées pour se concentrer sur sa conversation avec son amie. Très vite, l’ombre qui s’était arrêtée sur son visage disparut et son masque rieur et jovial refit surface. Elle ne restait jamais amère très longtemps, et elle s’était rôdée à la maîtrise de ses réflexions et surtout de ses colères. L’injustice avait le don de la mettre hors d’elle et pourtant elle ne pouvait pas se le permettre, les conséquences en étaient toujours désastreuses… Surtout lorsque quelqu’un se tenait à côté d’elle comme c’était le cas à cet instant.

« Je ne te le fais pas dire, tout à l’heure encore j’ai vu toute une troupe de bambins hauts comme trois pommes s’écharper. Ils jouaient aux « Survivants et aux Rédempteurs », mais apparemment le conflit avait éclot au moment de décider qui prendrait le mauvais rôle… Moi à l’heure âge je jouais au Loup ou à la Marelle, pas aux combats mortels. »

Passant outre l’aspect triste et pathétique de la situation, elle se laissa à aller à un rire fort et cristallin, vite imitée par son interlocutrice. Heureusement que les enfants étaient là pour égayer un peu la morosité des Survivants. C’était cette raison qui la poussait à passer tant de temps à l’école naissante, la garderie ou encore dans les couloirs du Deuxième Etage. Et ainsi entraîner tout cet attroupement l’enchantait.

« Ils ont bien besoin d’un peu de discipline. Après tout ils prendront un jour la relève. Enfin j’espère que d’ici là les tours de garde ne seront plus indispensables et qu’ils pourront vivre librement… »

La Liberté. Un idéal poursuivant sans relâche chaque habitant jusque dans ses songes et qui pourtant paraissait si lointain, si inaccessible… Mieux valait ne pas y penser.

« Oui, bonne journée. Je suis allée faire un tour au marché et ensuite j’ai passé l’après-midi avec les enfants, à l’école ou à la garderie. Et puis je suis allée bavarder dans une salle commune… Et toi ? »

"Les Survivants et les Rédempteurs" le jeu en vogue chez les gamins Survivants en ce moment. La version Terréene du gendarme et du voleur. Jyl avait constaté ces changements progressifs dans la mentalité des enfants. Pour eux, les Survivants étaient les gentils, et les Rédempteurs les méchants oppresseurs. Vision ménichéene du monde que Jyl aurait bien aimé partager. Parfois, elle se demandait même qui, des Survivants les plus âgés ou de leur cadets, nourissaient la plus gande hargne pour leurs adversaires.

Elle préférait cependant croire que les enfants ne ressentaient pas autant de rencoeur et de colère qu'elle en ressentait elle-même. Ce n'était pas sain et, surtout, cela lui donnait parfois l'impression qu'elle allait s'égarer elle même.

Comme Amy l'avait fait tout à l'heure, elle chassa ces sombres pensées. Et l'accompagné dans son fou rire. Elle n'imaginait que trop la scène de gamins près à en découdre au milieu d'un couloir de pierre, armé de minuscules morceaux de bois en guise d'armes, un air vindicatif entièrement copié sur celui de leurs aînés sur le visage.

"Il faudrait penser à leur expliquer que la guerre n'est pas un jeu" souffla t-elle néanmoins, une pointe de tristesse dans la voix.

Néanmoins, ce n'était pas elle qui allait les empêcher de détester les Rédempteurs. Tant qu'ils resteraient unis derrière un ennemi commun, les habitants de la Citadelle s'entendraient, et la ville tiendrait. Tout reposait sur l'union et l'entente des anciens clans qui, peu habitués à cohabiter, avaient fait des difficultés dans les premiers temps.

Dans le but de chasser la mélancolie qui, la fatigue aidant, menaçait de la gagner, Jyl décida d'embrayer sur le sujet qu'elle avait elle-même lancé, à savoir le résumé de leur journées respectives.

"Et bien je me suis levée très tôt pour venir voir le lever du soleil ici, et ensuite je suis allée m'entraîner jusqu'à l'heure du déjeuner. Après je suis allée à la garderie parler de l'Ancien Monde aux petits. Ils aiment entendre parler de ce qu'ils ne connaissent pas, enfin de ce dont ils ne se souviennent plus. Et moi ça m'empêche d'oublier. Et ensuite je suis allée m'entraîner de nouveau. Maintenant je suis exténuée. Demain, je ne fais rien."

Elle avait prononcé les derniers mots en riant. Promesse de lézarder qu'elle se savait incapable de tenir. Depuis qu'elle habitait dans la Citadelle, elle se sentait incapable de ne rien faire.

Amy éclata de rire à son tour. Jyl ? Ne rien faire pendant toute une journée ? Elle aurait été prête à livrer bras et jambes au premier Kraken de passage si la jeune fille se contentait de farnienter en tout bien tout honneur pendant vingt-quatre heures d’affilée. Depuis qu’elle la connaissait, elle pouvait compter sur les doigts d’une main le nombre de fois où elle l’avait vue se livrer à cette passionnante activité, les doigts de pied en éventail.

« C’est cela, oui. Inutile de dire que je ne porte absolument aucune attention à tes propos complètement farfelus », lâcha-t-elle entre deux éclats de rire.

Son regard s’était reporté sur l’horizon. Elle songeait aux nombreuses fois où elle s’était retrouvée sous ce ciel, sous ces étoiles qu’elle contemplait volontiers depuis sa plus tendre enfance. Dans tout le chaos qui s’était installé sur cette planète, la voie lactée était probablement la seule chose à ne pas avoir changé. Elle restait toujours la même, imposante, paisible et apaisante, réparant le peines des humains insignifiants s’agitant à ses pieds, la priant de tout arranger.

Combien de fois déjà avait-elle supplié les étoiles de lui venir en aide ? Gamine, malheureuse dans une famille harcelée de tous les maux qui peuvent accabler les hommes, elle avait regardé le ciel dans l’espoir d’un avenir meilleur. Seule, perdant toute humanité au fil du temps, remplacée par agressivité et incompréhension, elle implorait les astres de lui offrir de meilleurs lendemains. Tout changeait, tout bougeait, sauf les étoiles. Elles restaient, invariablement.

Un sourire se dessina sur les lèvres d’Amy. Elle était bien. Elle se sentait mieux que jamais, ici, un doux vent nocturne balayant ses cheveux rouge vif foncés par l’obscurité, le visage voilé par la tombée de la nuit, sereine sous les étoiles mais plus seule. Jyl était là, sa simple présence suffisait à la rassurer. Elle savait qu’à présent tout irait mieux parce qu’elle avait quelqu’un à qui parler, quelqu’un pour la comprendre, lui faire confiance, quelqu’un qui affronterait les foudres du destin avec elle.

Elle posa des yeux empreints de sagesse sur la jeune fille aux cheveux bleus à côté d’elle, une reconnaissance au fond du regard qui ne s’assoupirait jamais. Elle lui adressa un sourire amical et, regardant dans la même direction, tournées vers un avenir commun, elle les savait plus proches que jamais l’une de l’autre.

Après un éclat de rire commun qui avait longtemps résonné dans la nuit, un silence paisible s'était installé entre les deux jeunes filles. Les yeux perdus dans l'infini du paysage de Terrea qui s'étendaient à leur pied, endormi dans le manteau nocturne, elles avaient simplement profité de la présence l'une de l'autre, et de ce sentiment de complicité qui donnait une certitude à Jyl: Amy ne la laisserait jamais tomber, et elle ne laisserait jamais tomber Amy.

Jyl avait toujours eu besoin des autres, sans réellement s'en cacher. Elle s'était reconstruit une famille en la personne des Survivants, et de ses amis, et elle n'était pas sûre qu'elle serait arrivée à survivre ou à faire face à tout ça sans leur présence. C'était eux qui lui donnaient de la force.

Elle ne savait pas comment Amy avait fait pour tenir tout ce temps seule sans renoncer, décider de se laisser mourir là, dans un coin, dévorée par une bête sauvage. Peut-être qu'elle aurait décidé de se battre pour continuer à vivre, elle aussi, mais elle ne le saurait jamais. Et elle ne tenait pas à tenter l'expérience.

Avec un soupir, Jyl sentit la fatigue peser sur ses yeux. Elle s'appuya en arrière sur ses bras et déclara sans élever la voix, ne désirant pas troubler ce moment de quiétude qui s'était installé entre elles.
"Bon, je vais y aller"

Sur ce, elle se hissa sur ses jambes et sauta au bas de leur perchoir, dans un bond souple et silencieux.

"Bonne nuit."

Elle s'en fut, regagnant le troisième étage et sa chambre douillete. Deux minutes plus tard, elle était couchée sur sa paillasse et savourant la venue du sommeil avec apaisement.

*Encore une bonne journée* songea t-elle avec un sourire.

Elle s'endormit.